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La pomme au chocolat

durée 15h56
28 avril 2016
Patrick Richard
duréeTemps de lecture 3 minutes
Par
Patrick Richard

Un après-midi singulier, je me suis rendu quérir mes jeunes filles au service de garde de leur école. Trois secondes après mon entrée, une technicienne de ce service qui a perdu son sourire lors d’un déménagement en 1991 m’a lancé un regard du type quelque chose de grave est arrivé. Je me suis approché, elle m’a prise à part : 
« C’parce que votre fille avait encore du chocolat dans sa boite à lunch. C’est pas la première fois » 
Elle me parlait avec l’air de dire : on va la pogner, la p’tite criss!
« Je l’sais, que je lui aie répondu, c’est ma blonde qui a mis le chocolat dans sa boite à lunch ».
 Je n’ai pas eu le temps de lui répondre qu’une fois de temps en temps, on mettait une petite cochonnerie pour lui rappeler que la normalité c’est de manger des légumes. Un petit chocolat gros comme le bout de mon doigt, madame, pour une petite fille de six ans.
« Ben là, c’est interdit par la commission scolaire », qu’elle m’a lancée comme si je venais de remporter haut la main le dernier concours du père le plus stupide au Québec. 
« Toutes les cochonneries là, les chips, les chocolats, les enfants ont pas le droit d’amener ça à l’école, c’est I-N-T-E-R-D-I-T (gros cave) ». 

Je me sentais bien cette journée-là. Je me suis éloigné en lui envoyant de l’amour et un petit sourire gratuit. J’ai aussitôt pensé à mes revues de Passe-Partout qui ramassent la poussière quelque part dans ma bibliothèque. En 1978, le Ministère de l’Éducation, à une époque où il amorçait des projets, a publié une vingtaine de revues de Passe-Partout pour complémenter ce que les trois Passe enseignaient aux enfants dedans nos télé-encrastrées-dans-un-très-gros-meuble. D’ici, j’entends trop gens me dire : « Bon, encore Passe-Partout et des enfants mongols qui font des affaires mongoles. » Justement, nous arrivons au coeur de ce propos. En 1978, on ne disait pas aux parents : « Vous êtes vraiment fou, monsieur, d’avoir mis du chocolat dans la boite à lunch de votre enfant. » Les parents ne se demandaient pas si leur enfant allait manquer de ceci, de cela, si c’était beaucoup ou pas assez, avec ou sans arachides, trop d’écran, pas de vie sociale, etc. Faut dire qu’on fumait aussi dans les pouponnières et qu’on balançait nos vidanges  dans des dépotoirs fumants à ciel ouvert. Mais nous nous éloignons du sujet. Je cite ma revue (Cécile Gagnon (1978), Description sommaire, Passe-Partout, Hors-série, p.3) : « Passe-Partout, c’est une série d’émissions assez riches et assez stimulantes pour amener l’enfant à agir et à apprendre par lui-même » (apprécier l’adverbe assez, on n’est pas encore tout à fait certain de la démarche).  Un peu plus loin «  Passe-Partout, c’est une série d’émissions qui engage l’enfant dans l’aventure merveilleuse de comprendre, d’aimer et d’apprendre à vivre. » Un enfant engagé dans l’aventure merveilleuse d’aimer la vie : c’pas beau ça, dans un salon? La génération qui a dit ça avait des cheveux longs et fumait peut-être en studio, mais nous voilà dans un temps rempli d’insouciance, de laisser-aller et de joie d’être. 

« Papa, est-ce que maman va encore mettre un chocolat dans ma boite à lunch demain? 
- Écoute chérie, demain, tu n’auras pas de chocolat dans ta boite à lunch (parce que nous vivons dans une époque de restrictions où on-ne-peut-même-plus-fumer-tranquille-dans-la-salle-des-profs). Mais lorsque tu croqueras ta pomme, promets-moi de ne rien dire et d’envoyer un petit sourire à la dame qui n’en a pas.

« Passe-Partout, termine Céline Gagnon dans sa revue, ce n’est peut-être pas une série d’émissions faites uniquement pour les enfants… »  

Ouan… Ça s’peut, Céline. Ça s’peut ben ça. 

Patrick Richard
[email protected]

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