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T’es où?

durée 11h06
17 juin 2016
Patrick Richard
duréeTemps de lecture 2 minutes
Par
Patrick Richard

Mon père est mort en 1986. Ça fait un bail, un bail de 30 ans. J’avais 10 ans en 1986, presque 11. Il m’arrive parfois de m’imaginer qu’il revient. Après le choc initial, je serais bien obligé d’entamer la conversation. Une conversation lourde d’émotions qui pourrait vite se transformer en salle d’observation unique sur notre époque.  Et qui pourrait ressembler à ceci.

« C’est … c’est bizarre de te revoir.
- C’est aussi bizarre pour moi mon gars… »
(Bruit de vibration)
« C’est quoi ça? »
Moi, au téléphone.
« Chérie? Je te rappelle tantôt, c’est comme… comment dire, trop important en ce moment. »
Devant la face de mon père incrédule.
« Ah! C’est… c’est un téléphone cellulaire.
- Un téléphone? Y’é où l’fil?
- Y’a pas d’fil papa. Y’a pu d’fil. C’est… ce sont des ondes envoyées par satellites.
- Les satellites…? 
- Oui, les satellites.
- Tu veux dire : la lune ou les satelippopettes? 
- Les satelippoppettes, papa, n’existent plus. »
Nous marcherions un peu.
« On est où là pour l’amour du saint ciel? 
- On est pas trop loin de chez vous, p’pa.
- Est où l’épicerie? La quincaillerie? La boulangerie? »
Je l’inviterais à monter en auto pour faire le tour du quartier en faisant plein de détours pour éviter les Wall Mart, les Costco, les Rénos, les Trop Gros. 
« C’parce que… c’pas chez nous ici? me dirait-il en tirant un bonne grosse puff de sa Mark Ten que je lui laisserais fumer en paix même si l’odeur m’écœure. 
- Ça ne dérange pas si j’ouvre la fenêtre? que je lui dirais en pesant sur un piton.
- Coudonc, y’é où le cendrier? Pis à quoi qui servent toutes ces pitons-là?
Il pèserait sur celui de la radio. La seule question de Louis-Jean Cormier raisonnant dans les rues du quartier. 

« Malgré l’air irrespirable, les journées au chronomètre
Tous les fraudeurs sous la table et les scandales de prêtres
Même au-dessus des ouragans, les banquises bouillantes en dedans
Comme dans le ventre quand la faucheuse remplit la salle d’attente
Entre l’écho des minarets et les églises à vendre
La seule question qui ressort, crois-tu qu’on s’aime encore… fort? »
Le silence d’un père qui retrouve son fils. 

Et vice-versa.
« Me criss de tout ça mon gars, me dirait-il dans les mots que je lui mettrais en bouche. Les changements climatiques, la liberté d’expression, le terrorisme, les incendies de forêt, les nains de jardins.  Ce qui compte, mon fils, c’est toi. Pis ça, ben ça changera jamais. »

Bonne fête, p’pa! On fête encore ça un père 30 ans après... 

Patrick Richard
[email protected]

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