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Avions citernes: des experts déplorent une perte d'expertise au pays

durée 17h33
6 juin 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

MONTRÉAL — Si les prochaines saisons des incendies de forêt sont à l’image de celle de 2023, les provinces pourraient avoir besoin de plus d’avions-citernes comme les Canadairs CL-215 et CL-415. Mais le Canada n'a pas construit de ces appareils depuis 2015 et des experts déplorent une perte d’expertise à un moment où la demande augmente tant au Canada qu'à l'extérieur.

Lundi dernier, des avions-citernes provenant du Montana ont été déployés au Québec pour prêter main-forte aux pompiers et à la quinzaine d’avions-citernes que possède la province.

En conférence de presse mardi matin, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Bill Blair, a expliqué que les six avions-citernes américains avaient été prêtés récemment à la Nouvelle-Écosse, mais lundi, «la fumée et la pluie ont rendu impossible le bombardement d'eau en Nouvelle-Écosse, alors ces avions ont été redéployés au Québec pour la journée».

Le ministre Blair croit que les provinces ont suffisamment d’équipement, comme les avions-citernes, pour combattre les incendies qui sévissent dans plusieurs parties du pays.

Toutefois, il a indiqué mardi matin qu’Ottawa «cherchera certainement à acquérir de l'équipement supplémentaire si c’est nécessaire», en faisant appel à un autre pays.

«Mais nous devons savoir où il se trouve et comment nous pouvons y accéder très rapidement», a expliqué le ministre.

Trouver rapidement des avions-citernes peut s’avérer compliqué, surtout lorsque les pays alliés sont également aux prises avec des feux de forêt.

«L’hémisphère Nord est dans la saison des feux», alors «on aurait de la misère à trouver un pays qui pourrait nous prêter des appareils», a indiqué John Gradek, expert en aviation et chargé de cours à l'Université McGill.

M. Gradek croit que les provinces ont manqué de vision et auraient dû investir davantage dans l’achat d’avions-citernes. 

«Au Canada, on a 55 appareils Canadairs, une combinaison de CL-215 et CL-415» et «considérant le nombre de feux présentement au pays, c’est absolument insuffisant», a indiqué M. Gradek en précisant que l’acquisition de ce type d’équipement relève des provinces.

Il a indiqué que certains des appareils utilisés au pays ont été construits il y a 50 ans.

«On ne fabrique plus de ces appareils au Canada», alors «on essaie de les modifier, d’entretenir et de mettre à jour les composantes de ces avions».

Lors d’une conférence de presse en début de semaine, le premier ministre François Legault a fait allusion à la difficulté d’entretenir certains de ces appareils lorsqu’un journaliste l’a questionné sur les équipements nécessaires à l’adaptation au changement climatique.

«Quand on voit un CL-215 qu’on ne peut pas utiliser pour des questions d’entretien, il faut se poser des questions sur: est-ce qu’on a besoin de plus de mécaniciens? La réponse, c’est probablement oui. Est-ce qu’on doit acheter quelques appareils neufs additionnels? Je pense que c’est plus comme ça qu’il faut le regarder», a indiqué le premier ministre sans toutefois préciser si son gouvernement a l’intention d’acheter de nouveaux avions.

Pas d’avion canadien avant 2030

En 2016, Bombardier a vendu son programme d'avions-citernes à Viking Air, une entreprise établie en Colombie-Britannique. Selon John Gradek, cette entreprise, qui prévoit construire une usine dans l'ouest du pays, pourrait commencer à construire ses premiers avions-citernes en 2027, mais ceux-ci ne serviront probablement pas à éteindre des incendies de forêt au Canada.

«L’entreprise aura une capacité de production de 10 appareils par année» et «les 25 premiers appareils» sont destinés à l’Indonésie, la France, l’Espagne et d’autres pays européens, a expliqué l’expert en aviation.

Donc si une province canadienne commandait aujourd’hui un appareil, «sa production ne débuterait pas avant 2030», a estimé M. Gradek.

Il a ajouté que les «Européens veulent la nouvelle génération de Canadair CL-415 et sont prêts à faire des achats importants» pour acquérir ces futurs avions canadiens, car la première génération est «un appareil de haute performance, reconnu et qui a fait ses preuves à travers le monde».

Si la saison des incendies 2023 est le prélude à ce que nous réserve l’avenir en raison des changements climatiques, les pays auront de plus en plus besoin de ce type d’appareil, a souligné John Gradek qui souhaiterait que le gouvernement fédéral investisse dans Viking Air.

«Non seulement pour qu’elle débute la production du CL- 415, mais aussi augmente la capacité de production qu’elle prévoit.»

Mehran Ebrahimi, directeur de l'Observatoire de l'aéronautique et de l'aviation civile et professeur à l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal, se désole de la perte d’expertise du Canada et particulièrement du Québec depuis notamment la fin de la production des avions Canadair CL-415 et CL-215 par Bombardier.

«On a vu les effets des changements climatiques à travers le monde, alors on aurait pu se placer dans une position, non seulement de produire, mais aussi de maintenir de façon stratégique, de préserver notre capacité de construire ces avions-là qui demandent une expertise particulière», a-t-il dit.

En faisant allusion au commentaire du premier ministre Legault qui a indiqué qu’un appareil CL-215 n’était pas utilisé pour «des questions d’entretien», le professeur Ebrahimi a ajouté: «Ce sont les avions que nous avons produits et nous ne pouvons pas les réparer? Qu'est-ce qui s'est passé là? L'expertise, elle est partie où entre-temps?».

Stéphane Blais, La Presse Canadienne