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Environnement: 2025 a été l'année des reculs

durée 10h00
30 décembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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8 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — L’année qui vient de s’écouler a été marquée par des reculs en matière de protection de l’environnement au Québec et au Canada, des reculs souvent justifiés par les décisions du président américain. Mais Donald Trump a le dos large, selon certains observateurs qui appellent les gouvernements à résister aux pressions visant à faire marche arrière en matière de protection de la nature.

Remise aux calendes grecques du plafond de GES du secteur pétrolier et gazier, abolition de la tarification carbone aux particuliers, assouplissement des normes sur les véhicules électriques, dépôt de projets de loi qui permettent de contourner des lois et règles environnementales pour accélérer la réalisation de projets d’envergure, suspension, en Alberta, du Règlement sur l’électricité propre.

Ce ne sont là que quelques exemples tirés d’une longue liste de décisions du gouvernement fédéral que plusieurs considèrent comme des reculs importants en matière de protection de l’environnement dans les derniers mois.

Malgré ces reculs, «beaucoup de gens ont été enclins à accorder à Mark Carney le bénéfice du doute» et ils ont «patiemment attendu de voir ce qu’il proposerait» pour remplacer les politiques de lutte au changement climatique qui ont été mises de côté, explique Amy Janzwood, professeure adjointe au département de sciences politiques de l'Université McGill.

«Mais finalement, les reculs s'additionnent et il n'y a aucun plan climat!».

La touche finale à cette année parsemée de retour en arrière est survenue à la mi-décembre, lorsque le gouvernement a publié un rapport d'étape qui confirme que le Canada ratera ses cibles de réduction d'émissions de GES pour 2030 et 2035.

«Admettre que l'on ratera les cibles, c’est au moins un pas vers la transparence», commente Amy Janzwood, autrice du livre «Mega Pipelines, Mega Resistance».

Le «plus grand obstacle à la réduction des émissions»

Quelques mois avant la parution du rapport qui confirmait que le Canada ratera ses principales cibles, les estimations des émissions nationales pour 2024, publiées par l’Institut climatique du Canada, montraient que la réduction annuelle des GES au pays était, encore une fois, plombée par le secteur pétrolier et gazier.

Les émissions liées à la production de pétrole et de gaz, le secteur le plus émetteur de GES au pays avec 31 % du total national, ont augmenté de 1,9 % en 2024 alors que les émissions provenant des autres grands secteurs (transport, bâtiments, industrie) diminuent ou alors stagnent.

«La tendance entre 2023 et 2024 est semblable à celle entre l’année 2005 et aujourd’hui, dans le sens où c’est toujours dans le secteur pétrolier et gazier que les émissions augmentent le plus et donc c’est toujours ce secteur qui est le plus grand obstacle à la réduction de nos émissions», avait commenté Ross Linden-Fraser, chargé de recherche au projet 440 mégatonnes de l’Institut climatique, lors de la publication des estimations.

«Avec les nombreux projets à forte intensité d’émissions d’intérêt national que les gouvernements envisagent, on peut s’attendre à une hausse des émissions pour la suite des choses», pouvait-on lire dans l’analyse de l’Institut climatique.

Tendance semblable à Québec

Québec, à l’instar d'Ottawa, a déposé des projets de loi qui permettent le contournement de certaines lois et règles environnementales et a assoupli les normes sur les véhicules électriques. Le gouvernement du Québec, qui a récemment mis à pied une centaine de fonctionnaires du ministère de l’Environnement, a même laissé entendre qu’il pourrait utiliser une partie du «Fonds vert» à d’autres fins que la lutte aux changements climatiques.

L’année qui vient de s’écouler marque un «tournant inquiétant pour la démocratie environnementale» au Canada, et au Québec, selon une quinzaine d’organisations qui ont fait une sortie publique au début du mois de décembre pour appeler la population à se mobiliser.

Ces groupes environnementaux, dont font partie la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) et Nature Québec et Greenpeace, ont fait état de «dérives autoritaires» et ont dénoncé notamment le projet de loi fédérale C-5 et son équivalent québécois Q-5, qui visent à accélérer les projets d'intérêt national du Canada.

La faute à Trump?

Pour justifier ce type de pièce législative, mais aussi pour justifier d’autres reculs en matière d’environnement, à maintes reprises au cours de la dernière année, autant à Ottawa qu’à Québec, des élus ont évoqué l’instabilité provoquée par le président des États-Unis, Donald Trump.

Par exemple, voici ce qu’expliquait le ministre de l’Environnement du Québec, Bernard Drainville, le 25 novembre dernier, lors de la première journée des consultations sur la révision de la cible de réduction des émissions de GES du Québec :

«L’arrivée de Trump et de ses politiques a déclenché une réaction en chaîne. Il a mis pratiquement fin à l’ensemble de la politique climat du gouvernement américain. Il a sabordé la politique d’électrification des transports. Il a bousillé la transition énergétique. Et ce faisant, il a amené d’autres gouvernements en Amérique du Nord à reculer sur un certain nombre de choses», avait lancé le ministre Drainville avant de mentionner que la nouvelle cible du Québec devra «être réaliste» et tenir compte de «l’instabilité économique mondiale».

Louis Couillard, responsable de la campagne climat-énergie chez Greenpeace Canada, partage «une lecture similaire à celle de M. Drainville» sur le fait que l'élection du quarante-septième président a «engendré un désengagement mondial», mais il est d'avis que les politiciens d’ici «jouent dans le jeu de Trump».

Sous prétexte de «s’affranchir» de Donald Trump et des États-Unis, nos élus tentent d’accélérer des projets, qui, paradoxalement, «sont contrôlés par des intérêts américains» et «servent les intérêts géopolitiques de l'administration Trump», selon lui.

Des proches de Trump impliqués dans des projets d'intérêt national

Le militant écologiste donne l’exemple du projet de gaz naturel liquéfié (GNL) Ksi Lisims, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique, qui figure sur la liste des projets d’intérêt national. Un projet «contrôlé par des intérêts américains» qui ne fera qu’accroître la dépendance du Canada aux énergies fossiles, s'inquiète Louis Couillard.

Greenpeace, comme plusieurs autres organisations, dénoncent que le principal investisseur du projet, Western LNG, soit une société texane financée par les sociétés de capital-investissement Apollo Global Management et Blackstone.

Le PDG de Blackstone, Stephen Schwarzman, a été un important donateur politique de Donald Trump lors de sa campagne présidentielle en 2024, en plus d’avoir été l’un de ses conseillers économiques.

Ksi Lisims n’est pas le seul projet qui pourrait être accéléré au nom de «l’intérêt national» et qui implique un allié de Donald Trump, rappelle Louis Couillard, en faisant référence au projet minier Strange Lake, de Métaux Torngat, dans le nord du Québec.

Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, a qualifié ce projet d’«extrêmement important».

Jusqu’à tout récemment, l’Américain Thomas F. Gilman était président du conseil d’administration de la minière Métaux Torngat.

M. Gilman a donné plusieurs dizaines de milliers de dollars en contribution pour faire élire Donald Trump en 2024 et il a également occupé différents postes dans la première administration Trump, dont celui d'assistant du secrétaire au Commerce.

Louis Couillard souligne que Métaux Torngat se décrit comme une entreprise qui a l’ambition de jouer un rôle central dans la transition mondiale vers les énergies propres.

«Mais quand on fouille un peu, on se rend compte que le père fondateur de ce projet-là, Thomas F. Gilman, est quelqu'un qui nie la nature même de la crise climatique, donc, qui nie la nature même du problème que son projet prétend régler», soutient Louis Couillard.

Le militant écologiste fait référence à un récent reportage de Radio-Canada, qui soulignait que Thomas F. Gilman avait écrit un chapitre de la controversée feuille de route trumpiste «Projet 2025».

Dans ce chapitre, celui-ci plaide pour la dissolution de l’Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA), qui nourrit, selon lui, «l’alarmisme climatique».

«Est-ce qu'on veut travailler avec des gens comme lui, est-ce que c'est ça, notre vision économique au Québec et au Canada? Je me pose des questions», demande Louis Couillard.

Les projets Ksi Lisims et Métaux Torngat, a souligné le militant de Greenpeace, sont «contrôlés» par des entités étrangères et par des individus qui sont alignés sur les intérêts géopolitiques de l'administration Trump» et ceux-ci «vont venir exploiter nos ressources naturelles tout en créant de la valeur ajoutée ailleurs, et nous, on va laisser aux communautés locales toute la gestion des impacts sociaux et environnementaux?»

Le 28 octobre dernier, quelques jours après le reportage de Radio-Canada sur le déni climatique de Thomas F. Gilman et de ses liens avec le président Trump, celui qui était président du conseil d'administration de Métaux Torngat, a été remplacé par une Québécoise, Maryse Bélanger.

Résister à l'appel des énergies fossiles

Selon Amy Janzwood, «l’instabilité politique et économique créée par Donald Trump a ouvert la voie, en 2025, à un vieux discours que l’on a entendu maintes fois» et «selon lequel la production d'énergies fossiles au Canada et la construction de pipelines vont résoudre nos problèmes économiques».

Or, selon son analyse, «c'est une vision à très courte vue qui ne tient pas compte des risques» environnementaux et économiques, comme les actifs échoués.

«Il faut éviter la construction d’oléoducs qui prendra dix ans, destinés à des marchés inexistants», soutient l'enseignante en politique.

«Nous avons besoin d'une économie à la fois résiliente et capable d'accompagner, ou du moins de ne pas entraver ni aggraver, la transition énergétique.»

Le Canada devrait, selon Amy Janzwood, «investir beaucoup plus dans les secteurs clés qui amélioreront la vie des Canadiens, notamment dans l’efficacité énergétique, la rénovation énergétique, les thermopompes et les autres infrastructures d’électricité propre destinées à améliorer le quotidien des gens».

Si «on regarde au-delà des États-Unis, les signes sont très clairs : nous sommes en retard comparativement aux autres pays pour les investissements dans l’économie verte», fait valoir l'enseignante à l'Université McGill.

Le président de l’institut climatique du Canada, Rick Smith, appelle également le Canada à résister aux pressions visant à faire marche arrière en matière d’action climatique.

«C’est vrai que, pour le moment, à court terme, il faut peut-être adapter certaines politiques parce que l'administration Trump n'est pas intéressée dans la carboneutralité, mais il faut aussi voir clair et être conscient de ce qui se passe ailleurs dans le monde».

M. Smith cite la Chine, l’Inde et l’Europe, qui accentuent la «décarbonisation de leur économie».

En 2025, pour la première fois dans l'Histoire, les énergies renouvelables ont produit plus d'électricité que le charbon à l'échelle mondiale.

«La vente de véhicules électriques augmente partout en Europe et en Asie» et «le mois dernier, un véhicule sur deux vendu en Chine était électrique», souligne Rick Smith.

Même aux États-Unis, malgré un retour en arrière, les perspectives ne sont pas aussi sombres que certains le suggèrent, alors que «l’énergie renouvelable a continué de croître» en 2025, ajoute le président de l’institut climatique du Canada.

Il donne en exemple la Californie, où, au cours des derniers mois, la production d'énergie solaire à grande échelle a presque égalisé celle produite par le gaz naturel.

«Même au Texas, un État vraiment conservateur, on voit que la source d’énergie la plus importante cette année, c’est l’énergie solaire».

Alors, «même si Donald Trump représente une menace à la lutte aux changements climatiques pour les deux prochaines années, le reste du monde continue de progresser», et le Canada doit miser sur les énergies propres et prendre sa place dans la transition énergétique mondiale, résume Rick Smith.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne