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L'ÉTS essaie d'améliorer les casques de sport

durée 10h00
15 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — L'impact est, presque littéralement, à couper le souffle.

Quand le bélier heurte le casque de football dans le laboratoire d'Yvan Petit et d'Éric Wagnac à l'École de technologie supérieure (ÉTS), l'onde de choc générée traverse l'écran de protection et nous frappe au corps.

Il s'agit pourtant là ― seulement! ― d'une collision d'intensité moyenne. Quand l'assistante de recherche des professeurs Petit et Wagnac, Roxane Le Vot, programme plutôt une collision à pleine puissance, celle qui simule le choc entre les casques de deux joueurs de football professionnels qui se cognent à pleine vapeur, on se demande comment un cerveau humain pourrait jamais s'en sortir relativement indemne.

C'est pourtant le défi que relèvent les deux chercheurs depuis plusieurs années: celui de mettre au point, pour le compte de la puissante NFL américaine, une nouvelle génération de casque qui protégera le plus possible la tête des joueurs, tout en répondant aux exigences des meilleurs athlètes au monde à pratiquer ce sport.

«Ça peut sembler simple, un casque, mais quand on regarde ça d'un point de vue d'ingénierie, c'est un problème qui est très complexe», a dit le professeur Wagnac, dont La Presse Canadienne a pu visiter le laboratoire en marge de l'inauguration par l'ÉTS de son nouvel institut de recherche et d'innovation en technologies pour la santé, itechsanté.

Les professeurs Petit et Wagnac s'intéressaient aux casques depuis longtemps quand la NFL a lancé, en 2019, ce qu'elle a appelé son «helmet challenge» ― une initiative qui visait, dans les mots de la ligue, à «encourager les experts, les innovateurs et les fabricants de casques à développer un nouveau casque pour les joueurs de la NFL qui (...) surpasse tous les modèles de casques actuellement utilisés par les joueurs de la NFL».

Cela a accéléré la création de leur laboratoire à l'intérieur des murs de l'ÉTS puisqu'il leur restait environ un an avant l'échéancier annoncé par la NFL pour présenter les premiers prototypes.

«Le premier banc d'essai qu'on a créé (...) réplique de façon assez similaire le laboratoire que la NFL utilise pour tester les casques, a expliqué le professeur Wagnac. La NFL fait une classification annuelle des casques qui leur sont soumis par les manufacturiers, et cette classification-là va déterminer les meilleurs casques ou les moins bons, même en proscrire un certain nombre, donc on ne veut pas se retrouver sur la liste rouge.»

Le professeur Petit reconnaît toutefois d'emblée que l'objectif de développer un casque qui se classerait parmi les meilleurs était «ambitieux, parce qu'on était des 'newbies' (des nouveaux venus) et qu'on n'avait jamais développé de casques de football», alors que certains des principaux acteurs du monde dans ce domaine se lançaient aussi.

«Mais parfois, a-t-il ajouté, ça prend des yeux neufs, une nouvelle approche.»

Leur premier prototype ressemble à de la tire-éponge: une doublure en plastique jaune, épaisse d'environ deux centimètres, criblée de minuscules alvéoles, qui est placée sous le casque rigide pour absorber et répartir l'impact.

La version la plus récente, celle qui est en ce moment utilisée sur le terrain par certains joueurs, témoigne de l'évolution rapide du produit au fil des ans: une structure flexible en plastique noir, imprimée en trois dimensions, composée de dizaines de structures géométriques interreliées, qui fait un peu penser aux casques utilisés pour réaliser des électroencéphalogrammes.

«L'innovation, c'est vraiment de baser tout le design sur l'impression 3D, a dit le professeur Petit. Tout le 'liner' est imprimé en 3D. On a cherché à optimiser la structure à l'intérieur en fonction des capacités que nous avons en impression 3D.»

Au total, les prototypes sont soumis à 18 impacts d'intensité différente et provenant de directions différentes, afin de reproduire ce qu'un joueur rencontrera sur le terrain.

«Ça nous permet de calculer un indice qu'on appelle l'HPS, le Helmet Performance Security Score, a expliqué le professeur Wagnac. C'est vraiment la métrique qui vient comparer tous les différents casques. Le but du jeu, c'est d'avoir la métrique la plus basse possible, le HPS le plus bas possible. À l'époque, les meilleurs casques faisaient environ 0,85. Puis la NFL voulait 0,7, donc c'était une réduction significative.»

L'objectif reste pour le moment inatteignable, a-t-il ajouté, puisque les meilleurs scores obtenus jusqu'à présent sont un peu en deçà de 0,8. «Parfois, a expliqué le professeur Wagnac, tu optimises à haute vitesse, mais tu viens de pénaliser à basse vitesse, donc c'est très complexe.»

Leur prototype s'est finalement classé parmi les trois meilleurs à avoir été présentés à la NFL. La compagnie montréalaise Kollide se charge de fabriquer les casques, qui sont mis en marché aux États-Unis par Light Helmets.

Un autre modèle arrive au premier rang du classement de l'université Virginia Tech, qui s'intéresse seulement aux casques destinés aux amateurs.

Avant le début de la compétition de la NFL, a indiqué le professeur Petit, la tendance était aux casques plus lourds et plus rigides.

«On a vraiment réduit le poids et ça nous a permis de nous distinguer, a-t-il expliqué. Mais notre équipe a changé le paradigme en montrant qu'on pouvait, au contraire, réduire le poids et augmenter la performance. C'est vraiment un élément distinctif que nous avons eu dans la compétition.»

Les connaissances générées sont évidemment transférables à tout ce qui a trait à la protection de la tête, des casques de vélo aux casques de construction. Le professeur Petit rappelle d'ailleurs que ses collègues et lui s'intéressaient aux casques de hockey avant de passer au football.

Le travail n'est jamais terminé, puisque la NFL ré-évalue les casques une fois par année. La prochaine échéance arrive à grands pas, à la fin novembre, donc les deux chercheurs aident Kollide à optimiser le prochain modèle qui sera présenté à la ligue, en vue de la publication du nouveau classement au début de 2026.

La NFL va même encore plus loin en développant des protocoles spécifiques à des positions, puisque les besoins du quart-arrière en matière de protection ne sont pas les mêmes que ceux de son joueur de centre.

Il y a d'ailleurs une nouvelle prise de conscience des dangers que peuvent représenter non seulement les coups assourdissants à la tête, mais les dizaines de milliers de petits chocs qu'un joueur peut encaisser tout au long de sa carrière et qui n'ont rien d'anodins.

«C'est important de protéger contre la commotion dramatique, oui, c'est clair, tout le monde s'entend là-dessus, mais de plus en plus, il y a la conscience qu'il va falloir aller au-delà de ça, a conclu le professeur Petit. Mais comment on peut arriver à faire ça, il n'y a pas grand monde qui a la réponse encore.»

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne