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Le changement de politique de la Colombie-Britannique concernant les drogues inquiète

durée 19h02
28 avril 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Par La Presse Canadienne, 2024

VANCOUVER — Les défenseurs des consommateurs de drogues s'inquiètent de la demande de la Colombie-Britannique à Santé Canada d'autoriser la police à intervenir lorsqu'elle constate une consommation de drogues illicites dans les espaces publics, affirmant que cela pourrait être un pas en arrière dans la lutte contre la crise mortelle des opioïdes.

Brittany Graham, directrice générale du Vancouver Area Network of Drug Users, a déclaré que même si elle n'a pas vu les détails, le changement proposé semble actuellement affecter uniquement ceux qui n'ont pas de logement et vivent dans la pauvreté.

«Ils vont être recriminalisés dans tous les sens du terme et il est très décevant, au milieu de cette crise des surdoses où 14 000 personnes sont mortes, que notre gouvernement actuel blâme nos problèmes plus vastes de sans-abrisme, de pauvreté et l'état de l'assistance publique sur les individus qui n'ont nulle part où aller», a-t-elle déploré lors d'un entretien téléphonique.

Mme Graham a relevé que les conséquences du changement proposé mettent en lumière d’autres problèmes sur lesquels le gouvernement devrait se concentrer davantage.

«Les gens n'ont plus les moyens de se loger, a-t-elle fait remarquer. C'est une question de logement, pas une question de décriminalisation.»

Le projet pilote de décriminalisation d'une durée de trois ans a été adopté le 31 janvier 2023, exemptant ceux qui sont en possession de petites quantités d'opioïdes de faire face à des accusations criminelles. Des exemptions s'appliquent aux drogues, notamment à l'héroïne et au fentanyl, ainsi qu'à la cocaïne, à la méthamphétamine et à la MDMA, en quantité de 2,5 grammes ou moins.

La province a déclaré vendredi qu'elle travaillait avec Santé Canada pour «modifier de toute urgence la politique de décriminalisation afin de mettre fin à la consommation de drogues en public».

«Un préjudice irréparable»

La demande de la Colombie-Britannique fait suite à des critiques répétées de la part de politiciens, d'agents de santé et de policiers concernant cette politique, notamment la consommation ouverte de drogues dans les espaces publics.

La province avait déjà tenté de rendre illégale la consommation de drogues dans les lieux publics avec sa propre législation, mais la Harm Reduction Nurses Association a contesté le projet de loi devant les tribunaux.

Le juge en chef Christopher Hinkson a statué en décembre que si les lois étaient adoptées, «un préjudice irréparable serait causé».

Le premier ministre David Eby a annoncé que la province avait maintenant demandé que les changements proviennent de Santé Canada en demandant une modification à son exemption en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le changement demandé donnerait à la police le pouvoir d'intervenir lorsqu'elle constate une consommation de drogues illicites dans les espaces publics, y compris à l'intérieur des hôpitaux, dans les transports en commun et dans les parcs.

Corey Ranger, président de la Harm Reduction Nurses Association, a qualifié cette décision de «totalement contraire à l'éthique».

«Nous sommes très préoccupés et croyons sincèrement qu'il s'agit d'un contournement inapproprié de l'ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique», a-t-il soutenu lors d'une entrevue. «La Colombie-Britannique n'a pas agi de manière transparente et n'a pas consulté les personnes qui seront les plus touchées par ce problème.»

L'association a publié un communiqué de presse plus tôt ce mois-ci, affirmant qu'elle avait contacté le gouvernement provincial «pour discuter de changements juridiques et politiques».

«L'association demande à la province de déployer des efforts productifs plutôt que de continuer à défendre une loi qui met des vies en danger», indique le communiqué de presse du 16 avril à propos de la loi.

M. Ranger a déclaré que l'annonce de vendredi était une surprise, soulignant que la province n'avait pas fourni de réponse officielle à la demande de l'association.

«Il semble que leur réponse ait été l'annonce qu'ils allaient demander un amendement à leur exemption pour le projet pilote de décriminalisation», a-t-il dit.

M. Ranger a affirmé qu'il croyait que cette demande était une tentative de «marquer des points politiques» avant les élections provinciales prévues à l'automne.

«Nous devrions travailler à des solutions comme le logement et les soutiens en matière de santé mentale, mais au lieu de cela, ils ont régressé vers la seule chose qu'ils connaissent, à savoir la punition», a-t-il argué.

Corey Ranger a déclaré que l'association n'est pas encore en mesure de déterminer quelles seront les prochaines étapes, parce que les membres n'ont pas encore vu la demande de la province.

Le bureau du premier ministre n'a pas immédiatement répondu aux demandes de commentaires sur les critiques.

Des doutes sur le pouvoir discrétionnaire de la police

M. Eby a déclaré vendredi, lors d'une conférence de presse, que la police avait besoin d'outils pour faire face à des circonstances extraordinaires lorsque des personnes compromettent la sécurité publique en consommant de la drogue. Il a précisé que la police recevra des instructions pour arrêter les personnes pour simple possession uniquement dans des «circonstances exceptionnelles».

Guy Felicella, un expert en réduction des méfaits basé à Vancouver, a expliqué qu'il était d'accord qu'il devrait y avoir des règles concernant la consommation publique dans des endroits comme les terrains de jeux, mais il a encore de nombreuses questions sur ce que signifierait l'exemption, en particulier en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de la police.

«C'est la partie qui me préoccupe et c'est ce sur quoi j'ai besoin de clarté», a-t-il déclaré.

Ayant lutté contre la dépendance pendant des décennies et ayant fait face à plus de 50 condamnations liées à la drogue, il a lancé qu'il pensait que la recriminalisation ne fonctionnerait pas.

«Quand on est pris dans tout ça, il est très, très, très difficile de s'en libérer», a-t-il noté à propos du système judiciaire. «C'est juste une porte tournante (de) rinçage, lavage, à répétition pendant des décennies, et je peux vous dire que, quand j'y repense, s'en libérer était probablement la chose la plus difficile.»

Il attribue en grande partie son rétablissement aux services de réduction des méfaits.

«Sans réduction des méfaits, je ne serais pas en vie aujourd'hui, mes enfants ne seraient pas en vie aujourd'hui et je n'aurais pas passé plus de 11 ans d'abstinence dans mon travail. Mon rétablissement me donne la vie que j'ai aujourd'hui, a déclaré M. Felicella. Mais tout cela reposait sur un continuum de soins allant de la réduction des risques aux services de rétablissement.»

Il s'est dit reconnaissant envers la province qu'elle soutienne la consommation supervisée et d'autres méthodes de réduction des méfaits, mais soutient qu'il faut une plus grande adhésion des municipalités de la province.

«Nous devons leur donner un endroit où aller», a-t-il suggéré à propos des consommateurs de drogue.

Brieanna Charlebois, La Presse Canadienne