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Le vote par anticipation et l'avance de la CAQ ont précipité l'annonce du résultat

durée 17h43
4 octobre 2022
La Presse Canadienne, 2022
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Par La Presse Canadienne, 2022

MONTRÉAL — Il n’y avait pas dix minutes que les bureaux de vote étaient fermés que déjà, les Québécois se faisaient annoncer qu’ils avaient élu un gouvernement caquiste majoritaire.

«C’est le résultat le plus rapide que j’aie jamais vu. Ça fait 30 ans que je suis impliqué dans des soirées électorales. J'en suis responsable depuis 10 ans et de mémoire de journaliste, oui, c'est le plus rapide», confie Frédéric Vanasse, premier directeur, gestion stratégique et projets spéciaux au service de l'information de Radio-Canada.

Mais par quelle magie a-t-on pu savoir quelle tendance habitait les boîtes de scrutin que l’on n’avait certainement pas eu le temps d’ouvrir pour en compter les bulletins en nombre suffisant dans les dix minutes suivant la fermeture des bureaux de vote? Deux facteurs ont mené à cette vitesse, soit le volume du vote par anticipation et le fort pourcentage de votes pour la CAQ. 

Vote par anticipation massif

Au dernier décompte du bureau du Directeur général des élections (DGE), pas moins de 24,5 % des 6,3 millions d’électeurs inscrits avaient voté par anticipation, soit plus d’un million et demi d’électeurs. Or, depuis décembre dernier, la Loi électorale prévoit que ces boîtes de scrutin peuvent être ouvertes pour être comptées dès 18h00, le résultat devant être gardé confidentiel jusqu’à 20h00.

«Étant donné que le vote par anticipation gagne en popularité d'élection en élection, on a toujours plus de volume. Une décision spéciale avait donc été prise en 2018 pour permettre au personnel électoral de commencer le dépouillement du vote par anticipation plus tôt», explique Julie St-Arnaud-Drolet, du bureau du DGE.

«Cette année, il y a eu des modifications à la loi et dorénavant, on peut tenir pour acquis que le dépouillement des votes par anticipation peut commencer à compter de 18h00.» 

Et donc dès 20h00, cette avalanche de votes déjà comptés arrivait dans les salles de nouvelles. «Ce n'est pas l'ensemble des votes par anticipation qui étaient dépouillés, mais on en avait quand même une bonne masse», raconte Mme St-Arnaud-Drolet.

Des salles de nouvelles prêtes

À ce moment, les salles de nouvelles étaient prêtes depuis longtemps. À Radio-Canada, une importante réunion tenue jeudi dernier avait eu pour effet d’analyser le territoire électoral, comté par comté. Tous les efforts sont mis dans cette analyse qui est réalisée avec les sondages, des discussions avec les partis et l’expertise terrain de près d’une trentaine de journalistes qui ont une connaissance fine des circonscriptions des régions où ils travaillent, explique Frédéric Vanasse.

«On attribue à chacune des 125 circonscriptions une cote, soit une cote 'assuré', si nous sommes convaincus qu’un candidat favori est assuré de l’emporter, soit une cote ‘serré’ ou ‘coup de dés’. Après la rencontre, on s'est rendu compte qu'il y avait au-delà de 90 circonscriptions où, selon notre appréciation, il y avait peu de doute que le candidat favori était assuré de l'emporter.»

Donc, avec l’arrivée d’un seul coup de dizaines de milliers de votes de toutes les régions et un score de plus 50 % pour la CAQ dès les premiers instants et aucun des autres partis ne dépassant les 15 %, la tendance était non seulement lourde, mais irréversible, et ce, même si l’appui de la CAQ devait diminuer à 41 % en fin de compte.

«Quatre partis dans un mouchoir de poche»

Pour la sociologue Claire Durand, experte en sondages de l’Université de Montréal, «dix minutes, c'est rare, mais ce n'est pas étonnant», reconnaît-elle puisque l’écart entre la CAQ et les autres était déjà creusé. «Quand avez-vous vu un parti qui était 25 points en avance sur le suivant? La situation est rare. Vous avez quatre partis dans un mouchoir de poche et vous en avez un qui est à 41 %. C'est ça qui explique la situation. C'est la première fois, à ma connaissance, qu'on ait une situation comme ça et c’est pourquoi la décision n’a pas tardé.»

Du côté de La Presse Canadienne, dont les données sont colligées à la maison-mère de Toronto, la rédactrice en chef de la Canadian Press, Andrea Baillie, explique de son côté que «malgré les sondages qui laissaient entrevoir un retour en force de la CAQ au pouvoir, il faut respecter le choix des électeurs. Malgré tout, notre connaissance du terrain, les tendances électorales des dernières élections et la vitesse à laquelle les résultats ont montré une domination des candidats de la CAQ ont rendu la décision assez évidente. Le résultat final, à l’échelle provinciale, n’a jamais été mise en doute.»

Pas de chance à prendre malgré tout

Évidemment, personne n’allait prendre de chance pour autant, fait valoir Claire Durand, qui rappelle que même si les diffuseurs suivent une série de critères rigoureux, ces annonces ne sont pas infaillibles.

«Rappelez-vous quand même que, lors des élections municipales pour la ville de Québec, ils avaient appliqué ces critères-là et s'étaient trompés dans la décision et avaient annoncé la victoire de Marie-Josée Savard», dit-elle.

Personne n’a oublié le malaise causé par le discours de victoire de Mme Savard qui, quelques minutes plus tard, devait finalement apprendre que la victoire allait plutôt à Bruno Marchand. 

C’est pourquoi il a fallu autant de temps, par exemple, avant de savoir si la cheffe libérale Dominique Anglade et son vis-à-vis péquiste Paul St-Pierre Plamondon étaient élus: les résultats n’étaient pas assez clairs assez tôt pour s’aventurer et personne n’aurait voulu se tromper.

«Tous les témoins au vert»

Ainsi, en cette soirée électorale du 3 octobre, l’arrivée massive de votes par anticipation dont la moitié était bleu caquiste et l’autre parfaitement fragmentée en quatre a ouvert la porte à une annonce rapide. 

«Le journaliste qui est responsable de faire la prévision de gouvernement, connaît les cotes qu'on a données à chacune des circonscriptions, raconte Frédéric Vanasse. Il est à la recherche d'anomalies. Nous nous sommes sentis à l'aise de faire la prédiction de gouvernement de la CAQ majoritaire aussi tôt parce que nous avions beaucoup de résultats, la CAQ était très en avance et ensuite, il n'y avait pas d'anomalies. Tous les comtés où on avait prévu qu'il se passerait telle ou telle chose, c'est ça qui se passait.

«Quand tous tes témoins sont au vert, quand tu coches toutes les cases de ta ‘checklist’, tu te sens à l’aise de ‘caller’ le résultat.» 

La différence, cette année, c’est donc que tout est tombé en place beaucoup plus vite que d’habitude à cause de l’ampleur du vote par anticipation, de son décompte presque complété à 20h00 et de l’écart entre la CAQ et tous les autres.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne