Les deux seuls experts invités à se prononcer sur le PL-3 en demandent le retrait

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Par La Presse Canadienne, 2025
Les deux seuls experts indépendants invités à s’adresser à la commission parlementaire qui se penche sur le projet de loi 3 du ministre Jean Boulet, sur la réforme du régime syndical, ont livré une analyse fort négative de ce projet de loi, jeudi.
Me Michel Coutu, professeur émérite à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et Me Gilles Trudeau, professeur émérite à la faculté de droit à la même université n’ont pas été tendres envers le projet du ministre Boulet, particulièrement en ce qui a trait à sa volonté d’imposer un régime de cotisations à deux vitesses.
Le projet de loi 3 prévoit qu’une cotisation principale soit versée pour tout ce qui a trait aux relations de travail avec l’employeur et une cotisation volontaire pour les activités du syndicat qui ne sont pas directement liées à cette fonction, comme par exemple contester une loi devant les tribunaux, faire de la publicité ou participer à des mouvements sociaux. Le financement de telles activités périphériques serait soumis au vote de la majorité.
Pas d'urgence ou de besoin
«Il nous apparaît que par rapport à chacune de ces trois situations, le projet de loi 3 érige par son objet et ses effets des entraves substantielles à la liberté d'association garantie par l'article 3 de la Charte québécoise», a tranché Me Coutu. «L'objectif poursuivi (par le PL-3) ne revêt pas un caractère urgent ou réel», a-t-il ajouté, estimant que ce projet de loi a une validité constitutionnelle «pour le moins aléatoire».
«Cette distinction qu'opère le projet de loi entre deux types de cotisations, celles qui sont obligatoires et l'autre facultative, nous apparaît artificielle, factice et inappropriée», a renchéri Me Trudeau.
Michel Coutu est allé plus loin en disant s’être «amusé à retirer toutes les dispositions où il était question de cotisations principales ou de cotisations facultatives. Si on enlève tout ça, il ne reste pas grand-chose dans ce projet de loi».
Un rôle social historique
Me Coutu a rappelé que l’association de salariés, selon le Code du travail, va bien au-delà de la négociation et l'administration d'une convention collective. «C'est évident que depuis les débuts, le volet, la dimension socio-économique, mouvement social, revendicatif très largement de politiques publiques favorables aux salariés» est l’objet de l'activité syndicale.
«Le résultat anticipé qu'on craint et qui nous préoccupe, a soutenu Me Trudeau, c'est que ça va produire à la longue un affaiblissement du mouvement syndical québécois, un affaiblissement possible de la présence syndicale québécoise.» Les deux juristes ont demandé au gouvernement de retirer ce projet de loi.
Plus tôt dans le journée, l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et la Fédération autonome de l’enseignement étaient venues ajouter leurs voix au concert de dénonciations syndicales du PL-3.
«Ce projet de loi n'est pas une réforme, c'est une régression à nos yeux», a déclaré d’entrée de jeu le président de l’APTS, Robert Comeau, qui en a demandé le retrait, y voyant «une attaque frontale contre des droits fondamentaux».
Cheval de Troie
Plus encore, avec la possibilité d’imposer une cotisation volontaire pour des actions périphériques aux relations de travail, «ce projet agit comme un cheval de Troie. Il dissimule une attaque sournoise contre les capacités d'action des syndicats».
«L'histoire le prouve et l'a prouvé: la journée de 8 heures, les congés parentaux, l'assurance chômage, l'équité salariale sont autant d'avancées qui profitent maintenant à toute la population du Québec et qui sont issus de luttes syndicales». S’il y avait eu un équivalent en 1975, a-t-il fait valoir, «les syndicats n'auraient pas pu financer la lutte pour l'équité salariale puisqu'elle ne relevait pas d'une convention collective».
Pour les 68 000 membres de l’APTS, dont 85 % sont des femmes, a-t-il avancé, un tel projet de loi place le gouvernement en position de conflit d’intérêts puisqu’il lui permet de s’ingérer dans les affaires syndicales comme législateur alors qu’il est aussi patron. Les activités périphériques sont directement liées aux conditions de travail dans le cas des employés du secteur public, a-t-il fait valoir, puisque si le gouvernement dépose un budget qui prévoit des compressions dans le secteur de la santé, ses membres en subiront nécessairement un contrecoup.
Ne pas pouvoir s’opposer sans d’abord obtenir un vote pour financer une cotisation facultative n’a aucun sens et équivaut à museler le syndicat.
Deux sortes d'impôt?
Il a du même souffle poussé à l’absurde la logique des cotisations distinctes: «Jamais le gouvernement n'envisagerait de prélever des impôts obligatoires pour servir aux missions principales de l'État et des impôts facultatifs pour d'autres fonctions ou pour financer des projets comme Northvolt, par exemple.»
Les échanges ont tout de même été respectueux avec le ministre Boulet, qui a pris soin de féliciter l’APTS «pour vos mécanismes que je connais quand même relativement bien. Quand vous dites des mécanismes solides et transparents par et pour les membres, vous avez raison.»
La présidente de la Fédération autonome de l’enseignement, Mélanie Hubert, a complètement endossé ses propos. La FAE, par exemple, conteste la validité de la Loi 21 qui interdit le port des signes religieux, ce qu’elle n’aurait pu faire si le projet de loi 3 avait été en vigueur au début des démarches. «La nécessité de rapidité des fois et de flexibilité pour rencontrer certains délais si, par exemple, on a 30 jours pour en appeler d'une décision. Le projet de loi va affecter la capacité du comité exécutif d'exercer ses pleins pouvoirs en fragilisant non seulement la planification financière et la cohérence de ses actions, mais aussi en lui enlevant l'agilité nécessaire pour le faire.»
Elle aussi dénonce le conflit d’intérêts entre patron et législateur: «Les enjeux qui sont liés au salaire, aux conditions de travail et au milieu de l'éducation, sont nécessairement tributaires des finances publiques. Ça dépend directement des choix budgétaires gouvernementaux. Ça relève à la fois des relations de travail, mais à la fois aussi de décisions politiques et ça ne peut pas être départagé.»
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne