Les pétroliers russes qui contournent les sanctions pourraient polluer l'Arctique

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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — Certains alliés du Canada saluent le travail d'Ottawa visant à empêcher la Russie de faire passer du pétrole en contrebande par l'intermédiaire de navires dissimulés, car, selon Ottawa, ces navires pourraient un jour déclencher un cataclysme environnemental dans l'Arctique.
Le Canada et ses alliés ont mis sur une liste noire plus de 400 navires non immatriculés, appelés navires fantômes, en seulement six mois.
Cette initiative vise à priver la Russie de financement pour sa guerre contre l'Ukraine, tout en empêchant ces navires de compromettre un jour l'environnement arctique canadien.
«L'idée que des navires illégaux, non conformes aux normes et non assurés, transitent par les eaux du Grand Nord et de l'Arctique était, est et demeure une perspective terrifiante», a martelé David Angell, conseiller en politique étrangère et de défense du premier ministre Mark Carney, lors d'une table ronde organisée par l'ambassade de Pologne à Ottawa le 10 octobre.
La question devient de plus en plus pertinente pour le Canada en raison des changements climatiques dans l'Arctique, a-t-il ajouté.
Les règles mondiales exigent que les navires soient immatriculés dans un pays dont les lois et les codes fiscaux s'appliquent.
Les navires russes ont troqué leur pavillon contre celui de nombreux pays, a pointé Elzbieta Kaca, analyste à l'Institut polonais des affaires internationales.
«Ils peuvent facilement réintégrer le système, même s'ils sont sanctionnés, sous un nouveau nom, un nouveau pavillon et un nouveau propriétaire», a-t-elle expliqué lors de la table ronde du 10 octobre.
La Russie cherche depuis des années à échapper aux sanctions imposées par les pays occidentaux après son invasion initiale de l'Ukraine en 2014 et son invasion à grande échelle en 2022.
Ces sanctions comprennent un plafonnement des prix du pétrole russe. Les pays du G7 et d'autres pays appliquent le plafonnement des prix en empêchant les entreprises d'assurer ou de fournir toute autre assistance aux navires transportant des produits pétroliers russes, sauf si le prix du baril est inférieur au plafond.
Anna Kostrzewa-Misztal, haute fonctionnaire du ministère polonais des Affaires étrangères spécialisée dans la Russie, a fait remarquer que Moscou avait réagi en utilisant des navires non immatriculés ou des navires immatriculés dans d'autres pays – une flotte fantôme.
«Le problème est apparu immédiatement après l'introduction du plafonnement des prix», a-t-elle dit lors du panel du 10 octobre.
Elle a ajouté que le Canada avait incité ses pairs du G7 à sévir contre cette flotte fantôme et que cette «excellente collaboration» avait sapé les efforts de la Russie pour échapper aux sanctions.
«Cela ne serait pas possible sans le Canada et sans le G7, a-t-elle insisté. Je suis absolument convaincue que vous êtes un pilier essentiel de cette logique, de cette dynamique.»
Risques environnementaux et sécuritaires
Le Canada a collaboré avec le G7 pour créer une liste noire des navires liés à la Russie, a-t-elle précisé, tandis que le Danemark a assuré la coordination avec les pays européens, en particulier les gouvernements nordiques et baltes.
Plus tôt ce mois-ci, un groupe appelé les Huit pays nordiques et baltes s'est réuni à Ottawa aux côtés de la plupart des membres du G7, à l'exception des États-Unis.
Dans une déclaration commune, le groupe a dénoncé «l'utilisation de navires anciens, sous-assurés et mal entretenus, qui désactivent ou manipulent régulièrement leurs systèmes d'identification automatique, ainsi que l'utilisation de navires apatrides ou sous de faux pavillons».
Il s'est engagé à poursuivre la surveillance maritime et le partage de renseignements afin de lutter contre le contournement des sanctions.
L'ambassadrice de Finlande à Ottawa, Hanna-Leena Korteniemi, a déclaré que les Finlandais étaient «très reconnaissants» au Canada d'avoir porté cette question au G7, car les pétroliers russes peuvent contaminer les écosystèmes européens et encourager Moscou à faire la guerre au-delà de l'Ukraine.
Le recours au brouillage GPS par la flotte fantôme est particulièrement préoccupant pour la Finlande, car les pétroliers qui tentent d'échapper à la détection peuvent entrer accidentellement en collision avec des navires de passagers ou commerciaux. Les pétroliers russes quittant Saint-Pétersbourg peuvent s'approcher d'Helsinki, de Stockholm et de Copenhague.
Moscou insiste sur le respect des règles internationales, malgré de nombreux incidents documentés. Le ministère russe des Affaires étrangères affirme que les pays occidentaux tentent de limiter son accès aux eaux internationales.
Mme Korteniemi a indiqué que, selon une estimation, plus d'un tiers des navires associés à la Russie en mer Baltique ne sont pas assurés, ce qui augmente le risque que les pays touchés assument les coûts de nettoyage après des catastrophes écologiques.
«Il y a de réels signes d'impact sur l'économie russe: les sanctions fonctionnent, mais nous constatons des fissures dans l'économie, a-t-elle détaillé. Il nous faut simplement resserrer la corde. Une approche multidimensionnelle est nécessaire.»
Un jeu du chat et de la souris
Mitchell Robitaille, fonctionnaire d'Affaires mondiales Canada participant à la supervision du groupe de travail du G7 sur la flotte fantôme russe, a déclaré que les sanctions semblent avoir un effet, mais qu'elles constituent un jeu de rattrapage constant.
«Malgré notre volonté d'anticiper et notre volonté d'agir stratégiquement, nous sommes souvent en retard en matière d'application des sanctions, a-t-il noté. La Russie trouvera toujours, ou tentera de trouver, de nouveaux moyens de contourner les sanctions.»
Il a déclaré que le travail du Canada consiste notamment à «empêcher que des pays ne deviennent par inadvertance des refuges», en particulier lorsque des navires sont immatriculés dans des pays sous influence russe ou qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour inspecter correctement les navires immatriculés.
Elzbieta Kaca, de l'Institut polonais des affaires internationales, a exposé au panel du 10 octobre que des navires russes transportant du pétrole étaient immatriculés aux Comores, à Oman et au Panama. Elle a ajouté que les mesures prises par les pays occidentaux entraînaient probablement une baisse du nombre de ces navires en Europe.
«Cette tentative de mise sur liste noire d'un si grand nombre de navires a considérablement réduit le volume de pétrole et de produits pétroliers transportés par la flotte fantôme russe», a-t-elle déclaré.
L'analyste a souligné que l'Union européenne avait exercé des pressions diplomatiques sur le Panama et la Barbade pour qu'ils cessent d'autoriser l'immatriculation de navires russes sous leurs pavillons.
Les organismes internationaux pourraient envisager de contraindre les entreprises qui gèrent les registres de pavillon à se conformer aux règles et sanctions internationales, a-t-elle suggéré.
Les États-Unis auraient un impact considérable s'ils imposaient des sanctions secondaires aux pays autorisant l'immatriculation de navires russes, selon Mme Kaca, y compris ceux qui les immatriculent sous leur pavillon.
Le Canadien Mitchell Robitaille a rappelé que le Canada mène des actions de sensibilisation importantes auprès des pays qui immatriculent des navires fantômes russes, au-delà des pressions diplomatiques.
Ottawa offre également une assistance technique aux pays qui ne parviennent pas à suivre l'utilisation réelle des navires qu'ils ont immatriculés.
Dylan Robertson, La Presse Canadienne