Organismes et activistes continuent de défendre la demande anticipée d'AMM

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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — Sandra Demontigny a compris que quelque chose n'allait pas lorsqu'elle s'est rendu compte qu'elle ne se souvenait pas s'être acheté une nouvelle paire de bottes. C'était un achat important, un peu inhabituel pour cette mère de trois enfants, et elle était impatiente de les ramener à la maison.
«Je les ai vues près de la porte et j'ai demandé à mes enfants: "Qui a acheté ces bottes ? Je ne les ai jamais vues"», a-t-elle raconté.
«Les enfants m'ont répondu: "Non, elles sont à toi. Tu les as achetées et tu les aimes beaucoup."»
En enfilant ses bottes, elle a réalisé qu'elle ne se souvenait pas de les avoir achetées. «J'ai fondu en larmes», a-t-elle dit.
Cet incident a mené à un diagnostic: la maladie d'Alzheimer précoce, la même maladie contre laquelle Mme Demontigny avait vu son père lutter pendant des années.
C'était en 2018. Aujourd'hui, Mme Demontigny a 46 ans et vit dans un établissement d'aide à la vie autonome à Lévis.
Elle vit de façon autonome, mais sa mémoire à court terme lui fait défaut et elle a du mal à gérer son temps. Elle a tendance à se répéter dans les conversations.
«Je ne m’en rends pas compte, je le vois simplement sur le visage des gens à qui je parle», a-t-elle affirmé.
Au début de l’année, elle a signé une directive anticipée précisant les conditions dans lesquelles elle souhaite mettre fin à ses jours. Elle n’en divulgue pas les détails, mais a indiqué qu’elle y mentionne sa capacité à se souvenir de ses enfants.
«Ce fut un long processus, beaucoup de réflexion, beaucoup de larmes, beaucoup de peur», a confié Mme Demontigny.
Maintenant que c’est fait, elle se sent en paix avec cette décision. Ce n’est pas un choix qu’elle aurait eu si elle vivait ailleurs qu’au Québec.
La loi canadienne sur l’aide médicale à mourir ne permet pas les directives anticipées, c’est-à-dire des demandes écrites de mourir avec une aide médicale dans des conditions spécifiques, faites avant que le patient ne perde sa capacité de consentir.
Un rapport de 2023 d'un comité parlementaire mixte sur l'aide médicale à mourir (AMM) recommandait de modifier le Code criminel afin d'autoriser les demandes anticipées dans le cas où une personne recevrait un diagnostic d'une maladie grave et incurable entraînant une incapacité.
Le comité a écrit qu'«une demande anticipée doit être volontaire, non coercitive, mûrement réfléchie et faite par une personne ayant la capacité requise». Or, cette modification n'a pas été apportée.
Au Québec, la législation provinciale autorise les demandes anticipées d'AMM en garantissant que les cliniciens ne seront pas poursuivis au criminel pour avoir fourni ce service.
Points de vue divergents sur les demandes anticipées
L'organisme Mourir dans la dignité Canada affirme qu'il est temps que le gouvernement fédéral agisse.
«En l'absence de loi fédérale, chaque province devra élaborer et mettre en œuvre sa propre loi», a déclaré Helen Long, directrice générale de l'organisme.
Cet automne, Santé Canada a publié les résultats d'un rapport qu'il avait commandé sur les demandes anticipées, révélant un large appui à cette pratique parmi les Canadiens, ainsi que des préoccupations quant aux garanties à mettre en place.
Au Québec, plus de 1700 personnes ont déjà fait une demande préalable d’aide médicale à mourir.
Cardus, un groupe de réflexion chrétien, s’oppose à tout élargissement du régime d’aide médicale à mourir et milite pour des garanties plus strictes.
«Très peu de pays à l’échelle internationale prévoient une demande préalable d’aide médicale à mourir dans leur législation, et nous manquons donc de données pour évaluer son application dans ces pays», a soutenu Rebecca Vachon, directrice du programme de santé de l’organisme.
«Les données dont nous disposons montrent à quel point ces situations éthiques peuvent être complexes et délicates.»
Mme Vachon a précisé que l’exigence de consentement est une garantie essentielle en droit canadien.
Cardus souhaite la création d’un organisme indépendant de surveillance et d’application de la loi au Canada. Mme Vachon a ajouté que l’organisme est alarmé par les plus récentes données de Santé Canada, qui indiquent que l’aide médicale à mourir a été responsable d’environ un décès sur 20 en 2024.
Mme Long a fait valoir que ces chiffres reflètent simplement les choix individuels. Elle a souligné que les données montrent également que plus de 65 % des personnes ayant eu recours à l'aide médicale à mourir étaient atteintes d'un cancer.
«En réalité, elles mouraient d'un cancer. L'aide médicale à mourir était le processus qu'elles ont choisi pour mettre fin à leurs jours», a-t-elle expliqué.
Le gouvernement libéral n'a donné aucune indication quant à son intention de modifier la législation en vigueur.
Une porte-parole du ministre de la Justice, Sean Fraser, n'a pas répondu aux questions précises, se contentant de transmettre une brève déclaration soulignant que l'aide médicale à mourir est une «question complexe et profondément personnelle».
«Nous continuerons de travailler avec les provinces, les territoires et les professionnels de la santé à la mise en œuvre du système canadien d'aide médicale à mourir», a dit Lola Dandybaeva.
Mme Demontigny a confié avoir une idée précise de ce qui l'attend à mesure que sa maladie progresse et ne souhaite pas vivre comme son père à la fin de sa vie. Les jeunes atteints de la même maladie peuvent vivre plusieurs décennies.
«Parce que nous sommes jeunes, notre corps se sent en pleine forme. C'est juste le cerveau qui est malade», a-t-elle expliqué.
Sarah Ritchie, La Presse Canadienne