Le temps des Fêtes a toujours été un grand temps de réjouissance pour moi. Attendre fébrilement l’arrivée de mes cousins pour jouer dans le sous-sol, se gaver de bonbons et de chocolats ou trépider d’impatience à la réception des cadeaux, tout cela faisait de la fête de Noël, la plus grande fête de l’année ! Cependant, un des aspects du temps des Fêtes me laissait mi-figue, mi-raisin : la fête de Noël des électriciens de la construction.

Les fêtes de Noël pour enfants organisées par les milieux de travail avaient toutes cette bonne intention d’unir les employés à l’extérieur du cadre de travail, tout en fournissant aux enfants une occasion de recevoir un cadeau des mains du père Noël. Toutefois, celui-ci avait souvent une allure de mort-vivant avec sa barbe quasi transparente, son costume bon marché et son maquillage plus que douteux. Le comité social des électriciens de la construction, dont mon père faisait partie, ne faisait pas exception à la règle.

Arriva donc ce jour fatidique où je devais aller à cette fête annuelle, accompagné de mes deux frères et de mon père. Le comité organisateur avait l’habitude de changer de salle chaque année et, cette fois-ci, ne fit pas changement à la règle. Mon père nous conduisit vers une vieille maison qui avait quelque chose de différent par son style ancien et solennel. Je demandai donc à mon père de quel endroit il s’agissait. Il me répondit qu’il s’agissait de la Maison des gouverneurs. En descendant de la voiture, il me montra les panneaux indicateurs parsemés autour de la maison.

J’y appris qu’elle avait été construite en 1781 par le gouverneur général du Canada, Sir Frederick Haldimand. Celui-ci voulait inciter les loyalistes, sujets loyaux de la couronne britannique fuyant la révolution américaine, à venir s’installer à Sorel.

Afin de protéger le Canada, la couronne britannique avait engagé des mercenaires allemands et bon nombre de ceux-ci furent cantonnés ici, dans une caserne construite face à la maison. Haldimand offrit ensuite la maison au commandant de ces mercenaires, le Baron Friedrich Adolph von Riedesel, qui habita la maison les deux années suivantes. Il y fit construire deux annexes de chaque côté. À son départ, la maison devint une résidence secondaire pour plusieurs personnages politiques importants, comme Guy Carleton, Lord Aylmer, le Prince William-Henry et le Duc de Kent, père de la reine Victoria.

Les Britanniques quittèrent la maison en 1860. Elle fut alors la propriété de particuliers jusqu’en 1921, pour être achetée par la Ville de Sorel. On rénova les annexes en 1933, puis on restaura l’extérieur en plus d’ouvrir les cloisons à l’intérieur pour faire des réceptions en 1957, année où la Maison des gouverneurs fut classée patrimoniale.

Sur un autre panneau, je pris le temps de lire d’autres informations, peut-être inconsciemment afin de retarder mon arrivée à la fête. C’est alors que je découvris quelque chose d’extraordinaire : le premier sapin de Noël en Amérique venait de Sorel !

Friedericke Charlotte Louise Von Massow, alias Mme Von Riedesel, mieux connue sous le nom de Lady Fritz, fut derrière cette grande première. Fille d’un général prussien, elle suivit son père sur les champs de bataille. Elle se maria à l’âge de 16 ans et lors du soulèvement américain, elle suivit son mari au Canada, seule colonie toujours loyale à l’Angleterre, puis sur les champs de bataille, sous le feu des révolutionnaires ennemis. Elle fut faite prisonnière, ainsi que son mari, en 1777 à Saratoga et demeura aux États-Unis jusqu’en 1781, étant bien reçus et traités puisque le baron était un officier.

En 1781, à son arrivée à la maison construite spécialement pour sa famille, nostalgique de son pays d’origine et de ses traditions, elle décore un arbre de Noël avec des lumières, implantant ainsi une tradition qui se perpétue et dont nous pouvons être fiers.

Malgré les traumatismes causés par les fêtes de Noël des électriciens de la construction, je dois remercier mon père et ses amis d’avoir eu cette idée de génie de les avoir tenus au meilleur endroit en Amérique, là où le plus important symbole de Noël a été vu pour la première fois sur notre continent, c’est-à-dire chez nous !

Frohliche Weihnachten (joyeux Noël), Lady Fritz ! Et merci de tout cœur !

Patrick Péloquin, Société historique Pierre-de-Saurel, www.shps.qc.ca