«Maintenir une pression»
L'implantation des recommandations de la Commission Laurent sera suivie à la trace
Par La Presse Canadienne
Il sera extrêmement difficile pour le gouvernement Legault et ceux qui le suivront de laisser traîner sur les tablettes les quelque 280 recommandations de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, aussi appelée la Commission Laurent.
Un an après sa création, le Comité de suivi des recommandations livre mardi un rigoureux cadre d’évaluation de 140 pages contenant des centaines d’indicateurs devant mesurer de façon concrète le progrès de la mise en place de ces recommandations.
En entrevue avec La Presse Canadienne, la présidente du Comité, Martine Desjardins, explique que le rôle de celui-ci sera d’agir comme chien de garde des volontés que la commission, présidée par Régine Laurent, a laissé en héritage aux pouvoirs publics pour qu’ils redressent enfin la situation en matière de protection de la jeunesse.
«Ça fait plusieurs années qu'on dit qu'on va rénover la Loi sur la protection de la jeunesse, qu'on va bonifier les interventions. On a un rapport qu'on doit suivre et notre rôle à nous, c'est de revenir d'année en année avec une analyse complète de l'ensemble des indicateurs pour dire ce qui est fait, ce qui ne l'est pas et ce qui est en processus de l'être.»
«Maintenir une pression»
«C'est à ça qu'on sert: à maintenir une pression et à rappeler aussi au public que les recommandations doivent être réalisées.»
Elle reconnaît que d’évaluer l’avancement de près de 300 recommandations n’est pas une tâche simple, surtout que plusieurs d’entre elles sont imbriquées l’une dans l’autre et ont une incidence l'une sur l'autre. Qu’à cela ne tienne, cela prendra le temps qu’il faudra, affirme Mme Desjardins, qui s’installe pour le long terme.
«Quand on m'a approchée pour prendre la présidence du Comité de suivi, on m'a dit que c'est pour les dix prochaines années. Donc on est là jusqu'à ce que les recommandations soient faites!»
En d’autres termes, Québec n’aura pas que l’ex-syndicaliste Régine Laurent pour le talonner, mais aussi l’ex-leader étudiante et actuelle directrice générale de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), deux femmes dont il serait téméraire de sous-estimer la pugnacité.
500 indicateurs
En un an, les 24 membres du Comité de suivi, composé d’experts (dont une majorité de femmes) provenant tant des milieux universitaires que communautaires, ont abattu un boulot préliminaire colossal pour se donner les outils nécessaires afin de déterminer la progression des recommandations.
«Pendant un an, nous avons créé 500 indicateurs, des façons de voir, d'analyser le rapport et de dire: on passe (les recommandations) une par une et on évalue.»
Martine Desjardins souligne que même si le Comité ne dépose sa grille d’analyse qu’aujourd’hui, ses travaux sont déjà en cours. «On est déjà dans l'analyse. On est déjà dans la collecte de données. On aurait pu donner certaines analyses. On a décidé de ne pas le faire pour éviter que ce soit partiel, mais que ce soit plutôt complet la prochaine fois qu'on dépose.»
Données perdues
L’imposante liste d’épicerie préparée par Mme Laurent et ses commissaires représente certes un défi de taille pour le gouvernement Legault, qui s’est engagé à suivre l’ensemble de ces recommandations. «C’est faisable, répond d’emblée Martine Desjardins, mais encore faut-il commencer aussi à créer des bases de données, par exemple, qui relèvent de différents ministères.»
Une des difficultés que présente le redressement du système de Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) se trouve en effet dans l’éparpillement complet des données.
En procédant à ses réformes de structures à l’époque où il était ministre de la Santé, Gaétan Barrette avait notamment démantelé les organismes regroupant les directions d’établissements divers - dont celui des DPJ - qui cumulaient des données à l’échelle provinciale. Obtenir des données provinciales, de nos jours, relève du parcours du combattant puisqu’il faut les recueillir individuellement auprès de chacun des 22 CISSS et CIUSSS du Québec, qui ne les compilent pas tous de la même façon.
Environ six mois de retard
Mais Québec s’est déjà mis en marche aussi, faut-il préciser. Le gouvernement Legault a séparé l’implantation des recommandations en trois phases devant durer deux ans chacune. Jeudi dernier, devant la Commission de la santé et des services sociaux, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a fait valoir qu’une bonne part de la première phase, amorcée en mai 2021, était complétée.
Pressé de questions par la députée libérale Brigitte Garceau, le ministre Carmant a toutefois dû reconnaître qu’il faudrait, pour compléter cette première phase qui devrait être bouclée en juin 2023, «peut-être quelques mois de délai, un six mois additionnel».
«La phase deux est déjà en cours», s’est-il toutefois empressé d’ajouter, invoquant à quelques reprises le fait que l’implantation de la nouvelle agence Santé Québec accaparait beaucoup le ministère de la Santé et des Services sociaux.
La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse présidée par Régine Laurent avait été créée à la suite du décès bouleversant d’une fillette de 7 ans, en avril 2019, à Granby, qui avait été enveloppée de ruban adhésif par son père et sa belle-mère, qui sont tous deux derrière les barreaux aujourd'hui, le premier pour séquestration, la seconde pour meurtre non prémédité.
L’enfant avait pourtant fait l’objet de plusieurs signalements à la DPJ et des intervenants à son école étaient également au courant qu’elle subissait de la violence à la maison.
Le rapport, publié au début du mois de mai 2021, souligne justement à grands traits les failles du système de protection de la jeunesse.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
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