Firme montréalaise
Deep Sky amorce la recherche de captation de carbone et explore le sous-sol québécois
Par La Presse Canadienne
Le rêve de la firme montréalaise Deep Sky d’aller chercher le CO2 dans l’atmosphère et de le stocker quelque part où il cessera de provoquer le réchauffement climatique prend forme.
Deep Sky annonce le lancement des travaux de construction d’un laboratoire d’expérimentation de différentes technologies à Innisfail, en Alberta, et des analyses géologiques approfondies pour évaluer les capacités de stockage dans les régions de Bécancour, en Mauricie et de Thetford Mines dans Chaudière-Appalaches.
Bécancour: «un cadeau des dieux»
En entrevue avec La Presse Canadienne, le président et co-fondateur de Deep Sky, Frédéric Lalonde, explique que la combinaison d’un sous-sol propice et de la présence d’un parc industriel à Bécancour permettrait d’aller jusqu’à capter le CO2 au point d’émission pour l’entreposer: «Le fait que notre géologie au Québec soit favorable sous Bécancour, c'est un peu un cadeau des dieux de la géologie. Ça nous permet de faire un projet hybride. Ce qui veut dire qu'à terme, le parc industriel de Bécancour pourrait être carbonégatif», avance-t-il.
Un éventuel stockage dans cette région se ferait à environ 4 kilomètres sous terre, dans l’aquifère salin. «Une des manières connues depuis les années 1970 pour stocker du CO2 de façon permanente, c'est de l'injecter dans ces aquifères-là.»
Pour cela, il faut d’abord cartographier un sous-sol sous une superficie de près de 46 kilomètres carrés. «C'est le plus gros projet de cartographie 3D jamais fait à l'est du Manitoba», un projet qui avance pour l’instant avec une apparente acceptabilité sociale, soutient l’entrepreneur.
Tirer profit de l'amiante de Thetford Mines
À Thetford Mines, la cartographie géologique repose sur d’autres paramètres dans ce qui est connu sous le nom de la formation de Dunnage. «C’est l'endroit où la zone appalachienne rencontre la vallée du Saint-Laurent. Par un heureux hasard, la roche qui entoure habituellement la fibre d'amiante est extrêmement propice à la minéralisation du CO2. C’est un procédé complètement différent où certaines roches volcaniques qui ont une haute teneur en magnésium qui réagissent avec le CO2 et le transforment en craie», explique M. Lalonde.
Il ne s’agit là, toutefois, que de démarches très préliminaires de cartographie géologique.
Retard à Québec
Pour l’instant, impossible d’aller au-delà des démarches exploratoires au Québec d’une part parce que la compréhension du sous-sol au Québec est embryonnaire et, d’autre part, parce que le Québec traîne de la patte et n’a toujours pas de cadre législatif pour enfouir le CO2, contrairement à l’Alberta et d’autres provinces : «On ne peut pas rester dans un vide juridique, ça ne fait aucun sens», s’insurge Frédéric Lalonde.
Là où le bât blesse, c’est qu’à défaut d’un cadre législatif, les projets au Québec n’ont pas accès aux importants crédits d’impôts fédéraux pour le captage de carbone, disponibles dans certaines provinces, dont l’Alberta, qui accueillera le laboratoire expérimental et ce, même si Deep Sky a bénéficié d’un soutien de 25 millions $ du gouvernement du Québec.
Coups de chance
Le choix d’Innisfail s’est imposé de lui-même, raconte l’entrepreneur qui y a trouvé le genre de puits de stockage dont l’entreprise a besoin: «Ils avaient un projet déjà existant, déjà approuvé, déjà fait. On a appelé les propriétaires et on leur a demandé si on pourrait y injecter du CO2». Coup de chance, ceux-ci cherchaient justement un client. Deep Sky a acheté le puits et, par une heureuse juxtaposition de circonstances, a également trouvé sur place une ferme solaire qui n’avait pas de clients. «On a acheté toute la capacité!», lance-t-il.
L’installation, Deep Sky Labs, doit recevoir ses premières machines pour commencer l’expérimentation dès septembre. Mais on parle ici de débuts fort modestes. L’entreprise a commandé une dizaine de machines de fournisseurs différents à travers le monde qui seront toutes mises à l’essai à petite échelle.
Un modeste début
«Les machines en question vont retirer quelques centaines de tonnes, alors qu’il faut en sortir des milliards de tonnes. Ce n’est donc pas avec ça qu'on va changer le sort du monde, mais on n'a jamais opéré ces technologies. On ne sait même pas combien d'énergie que les machines là vont prendre, on ne sait pas si elles sont stables.»
«C'est la première fois qu'elles sont fabriquées. Le but c'est d'arriver à déterminer quelles sont les technologies prometteuses le plus rapidement possible, ensuite d’aller vers des concepts à plus grande échelle et éventuellement de bâtir des usines pour fabriquer ces unités de capture», avance Frédéric Lalonde.
Certes, il s’agit d’une aventure fondée sur l’espoir, mais sans garantie. Certains fournisseurs ont déjà reculé, leurs prototypes ne livrant pas la marchandise promise. Pour les autres, «on espère que les machines vont fonctionner quand on va les connecter», avoue sans détour M. Lalonde.
Courbe d'évolution
Mais il rejette les critiques qui soutiennent que la capture et la séquestration de CO2 «ça ne marche pas. C'est faux! s’exclame-t-il. Oui, c’est hyper inefficace, mais on en est au tout début», fait-il valoir, rappelant que toutes les nouvelles technologies passent par une courbe d’évolution.
«Là on est dans des échelles, il y a eu deux changements dans les échelles. Il y a eu quelques milliers de tonnes; la prochaine génération d'usines qui s’en viennent en ligne sont dans les 80 000 à 100 000 tonnes par année. On vient de faire un bond de 1000 à 100 000. On est loin du million, on est loin du milliard. Mais si on fait des bonds de 10 à 100 fois à chaque fois, on va y arriver.»
«Un devoir moral d'essayer»
Et il insiste sur le fait qu’on ne peut plus attendre: «Vous avez vu ce qui se passe en Floride? ce qui se passe et s'est passé dans l'Ouest? On est en train de perdre nos parcs nationaux, on est en train de perdre nos forêts. Sur nos zones côtières, bientôt tout va être inondé. Ce qui est à mon avis essentiel, c'est qu'on accélère ce développement technologique comme si notre vie en dépendait, parce que c'est le cas.»
Et il ajoute un argument-massue: «Quand on veut capter du CO2, il y a une contrainte géologique. Le Canada et le Québec en particulier se trouvent à être l'Arabie saoudite du retrait de CO2. Qu'on le veuille ou non, on a la géologie. On a le potentiel d’énergie renouvelable qui n'existe pas aux États-Unis. Donc forcément, si cette industrie-là se développe, elle va se développer au Canada.»
«À partir du moment où, au Canada et au Québec, on a les ressources naturelles pour le faire, on a, à mon avis, un devoir moral d'essayer», conclut-il.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
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